Dans le collier de perles qui scintille autour de la Baie des Ange, la coupole aux tuiles roses du Negresco se détache dans la nuit azuréenne. Sur la Promenade des Anglais, Amélie, de sa démarche légère accentuée par les hauts talons de ses escarpins, silhouette en robe moulante noire, pénètre dans le palace niçois.
Un chasseur en livée Louis-XV l’accueille, longe avec elle la grande verrière elliptique dessinée par Gustave Eiffel, illuminée par l’imposant lustre de cristal, et la conduit à la réception du Chantecler.
Dans la salle style Louis-XV, revêtue de boiseries réalisées en 1751 et de tapisseries murales, le maître d’hôtel – directeur de salle, Laurent Magnier, et son assistant Nawfal Marzak, l’installent à sa table d’où elle voit la Promenade. Amélie admire aussitôt les assiettes d’apparat, signées Isabelle Planté, avec un magnifique coq, tel qu’on dessine Chantecler dans le Roman de Renart.
Les vignettes des galeries, comme celle ci-dessous, ne montrent qu’une partie de l’image. Pour les visualiser, cliquez sur l’une d’elles puis naviguez à l’aide des flèches.
Une jeune femme cheffe au Chantecler.
Depuis août 2018, Virginie Basselot, dirige les cuisines du Chantecler, le restaurant gastronomique doublement étoilé Michelin du Negresco, le mythique palace de la Promenade des Anglais à Nice.
L’une des trois cheffes au firmament.
L’évènement n’est pas encore suffisamment anodin pour que la presse n’ait pas remarqué qu’elle entrait dans le club ultra fermé des cheffes françaises multi-étoilées Michelin où ne figuraient avant elle que la drômoise Anne-Sophie Pic, seule femme française triplement étoilée, et la landaise Hélène Darroze (celle-ci a perdu une des deux étoiles de son restaurant parisien mais en a gagné une deuxième dans son établissement londonien).
Toutes les trois, femmes déterminées voire obstinées, sont issues de lignées de cuisiniers et ont porté leur nom au plus haut niveau.
Virginie Basselot est aussi l’une des deux seules femmes Meilleur Ouvrier de France en cuisine, avec Andrée Rosier (Restaurant Les Rosiers, une étoile Michelin, à Biarritz).
Une jeune fille déterminée.
Virginie est normande, du Pays d’Auge, née le 21 avril 1979 à Deauville. Sa famille est des Authieux-sur-Calonne, près de Pont-L’Évêque, dans les environs de Honfleur. Même si elle est d’une lignée de cuisiniers, son père était chef de cuisine à Pont-L’Evêque, ce n’était pas sa vocation première, d’ailleurs son père ne l’y encourageait pas. Elle se voyait plutôt pilote de chasse mais d’aucuns l’en ont dissuadé. A quinze ans, elle effectue un stage chez Christian Girault, ami de la famille, à l’Auberge de l’Abbaye à Beaumont-en-Auge, en Pays d’Auge au cœur de sa Normandie. Cela lui plait et c’est dans sa région natale qu’elle effectue son apprentissage Elle commence au Ciro’s, du Casino de Deauville, puis passe au Kraal aussi à Deauville.
Le parcours des très grands.
BEP en poche, elle « monte » à Paris en 1998 où elle devient « premier commis tournant » dans la brigade de Dominique Bouchet aux Ambassadeurs, le restaurant gastronomique du Crillon. Sur cette lancée, la voilà cheffe de partie au Grand Véfour avec Guy Martin, de 2000 à 2003 où elle vit avec passion le basculement vers la troisième étoile, et enfin premier sous-chef de l’Epicure, le restaurant gastronomique triplement étoilé du Bristol, avec Éric Frechon auprès de qui elle reste neuf ans. C’est toujours à Paris, au Saint-James qu’elle obtient en 2012 ses galons de cheffe. Elle raconte avoir été conquise par cet établissement qui lui rappelle le manoir où elle travaillait avec son père. Elle y construit une brigade, emménage une nouvelle cuisine après des travaux et gagne une étoile Michelin en 2014. Elle étoffe encore son palmarès et devient, en 2015, Meilleur Ouvrier de France.
Entre temps, elle n’a jamais négligé de poursuivre sa formation, ainsi pour les techniques de cuisson sous vide au Centre de Recherche et d’Etude d’Alimentation, avec Bruno Goussault, et en cuisine moléculaire chez Denis MARTIN au Centre Européen de Promotion et de Formation Professionnelle, à Strasbourg.
Pendant deux ans elle quitte la France. Elle accepte la proposition de devenir, cheffe exécutive de La Réserve, à Genève.
Cela aurait plu à Jeanne Augier.
Le directeur du Negresco est venu la chercher au bord du Léman. Ce palace façonné par une femme lui a paru un beau symbole. La voilà première cheffe dans l’histoire du Chantecler. Que son joyau soit le premier palace azuréen au restaurant dirigé par une femme n’aurait pas déplu à la frondeuse Jeanne Augier, l’âme du Negresco pendant cinquante ans ; elle qui adorait bousculer les traditions pour mieux les célébrer.
Dans les pas du mythique Jacques Maximin.
Diriger les cuisines du Chantecler, pour les niçois cela signifie se placer dans les pas de Jacques Maximin, son chef mythique en 1978, le génie, celui qui a amené au restaurant du Negresco sa première puis, dès l’année suivante, sa deuxième étoile au Michelin, en même temps qu’il devient Meilleur Ouvrier de France. Il y a eu un avant Maximin, où le Chantecler était un restaurant chic parmi tant d’autres sur la Côte, et un après, où il est devenu un monument dont les chefs étaient des stars.
Tous ceux qui ont connu Jacques Maximin ont des anecdotes à raconter sur ce génie bouillonnant. Les maîtres d’hôtels vous diront qu’il fallait parfois attendre jusqu’à 11H30 pour connaître la carte du jour et l’apprendre par cœur, à peine une demi-heure avant l’arrivée des premiers clients, tant le créatif chef s’enthousiasmait sur des produits fraîchement reçus et s’ingéniait à en obtenir d’inoubliables essences.
Une lignée prestigieuse.
Ses successeurs, Dominique Le Stanc, Alain Llorca, Michel Del Burgo, Bruno Turbot, Jean-Denis Rieubland, beaucoup de fortes personnalités, ont conservé les deux étoiles Michelin. Le fameux guide a confirmé, avec la nouvelle cheffe aux commandes, les deux étoiles de l’établissement.
C’est donc un élément du patrimoine niçois qui est entre les mains de Virginie Basselot, comme si les nissarts le lui avaient confié. Cette jeune femme intelligente et subtile en a tout à fait conscience. Elle vient tout juste de recevoir, à Lyon, le trophée de chef de l’année 2019, faisant ainsi honneur à sa nouvelle charge niçoise.
Sublimer le patrimoine niçois.
Virginie est sensible à la force de l’identité niçoise, à la dimension nissarte de la cuisine. Elle ne manque pas une occasion de s’imprégner des traditions locales et de nouer des contacts avec les petits producteurs, comme lors de la manifestation « Les chefs au sommet à Auron ». Comme tous grands chefs, elle est soucieuse d’obtenir le meilleur de la région pour le mettre en valeur.
Elle vit aussi son métier comme une transmission. Elle apporte à Nice ce que de grands chefs lui ont confié, et ce qu’elle a exploré par sa propre curiosité. Elle sait qu’elle recevra beaucoup de la métropole azuréenne.
Des goûts « lisibles ».
Elle cherche à créer un moment exceptionnel de partage mais dans la simplicité. Quand je déguste, dit-elle, je n’aime pas avoir à réfléchir sur une assiette avec des goûts d’un autre monde. Je veux que le client retrouve les éléments qu’il a choisis dans l’intitulé du plat. Si le client prend un turbot avec du champignon, il veut retrouver les deux éléments. On doit tenir la promesse. J’y suis très attentive.
Elle cherche et, à force de ce qu’elle qualifie d’ « obstination féminine », elle trouve.
Parmi ses plats « signature », actuellement, on remarque le Bar et huître en tartare, crème citron et caviar de Sologne ou le filet d’agneau au vadouvan, gnocchi au herbes et artichauts. Amélie a décidé de se laisser guider : « Menu surprise ». En vous le révélant, elle ne va pas vous le « divulgâcher » comme diraient les Québécois, puisqu’il change régulièrement. Et avec les plats surprises, les vins assortis, à découvrir aussi, proposés par le chef sommelier Florian Guilloteau.
Florian Guilloteau, fin sommelier.
Florian Guilloteau a eu a eu parmi ses maîtres Eric Beaumard (MOF, vice meilleur sommelier du monde) et Gérard Basset, meilleur sommelier du monde. Il a travaillé en Irlande et en Angleterre où il a acquis un regard sur les crus du monde entier. Il est passé notamment par l’Auberge du Vieux-Puits, de Gilles Goujon, trois étoiles Michelin, à Fontjoncouse en Languedoc. Pour le Chantecler, il a composé, avec son équipe, un livre de cave impressionnant, tant par son volume, tel qu’il lui faut un lutrin dédié, que par sa richesse. Les vins « surprise » s’accordent au millimètre au menu du même nom.
Les amuse-bouche placent immédiatement la barre très haut. Le butternut est une tuerie, même si le cromesquis de sardine et l’émulsion de pissaladière ne déméritent pas. Le ton est donné aussi : niçois très revisité. Suivent les morilles des pins à la bisque de homard, mélange réussi d’ambiances.
La première entrée, langoustine concombre, très graphique, donne de la fraîcheur. Suit le thon rouge, grillé et fumé, un régal accompagné de lentilles blondes au pistou et une tomate confite.
Vient le cochon de lait, tout juste grillé, fondant, et la blette, la bléa niçoise, en réduction et en cromesquis.
Fondre avec les desserts de Fabrice Didier.
Chef pâtissier depuis septembre 2016, après avoir été pendant quatre ans le second de Fabien Cocheteux, parti à l’Elysée, Fabrice Didier prend magistralement le relai au dessert : moelleux aux noix, noix fraîches, espuma au café bio du Pérou et figue de barbarie rôtie, à la fleur d’oranger bio de Valbonne.
Les mignardises concluent la fête, cake à la carotte au sucre muscovado, cannelet au chocolat praliné et citron vert. Toujours en légèreté viennent en finale biscuit sucré, pâte de fruit et guimauve framboise.
Le service d’un palace tel que l’a conçu Jeanne Augier.
Laurent Magnier, maître d’hôtel – directeur de salle, ici depuis 17ans, a bien connu Mme Augier. Il porte avec élégance l’histoire du lieu. Sous sa houlette, le service est attentionné, stylé Ancien Régime, à l’image du lieu sans devenir oppressant. On remarque, sur les vestes parfaitement classiques des maîtres d’hôtel et de leurs adjoints, les boutons de manchette dont un vert, un framboise, assortis au velours des différents fauteuils, qui sont un clin d’œil espiègle de Jeanne Augier. C’est de l’Ancien Régime avec toujours un recul amusé, une douce ironie. Amélie apprécie la parfaite prévenance de Nawfal Marzak, assistant maître d’hôtel.
Le rythme de service, des plats comme des vins, atteint la perfection.
Virginie Basselot a coutume de passer en salle, ce qui est apprécié des convives. Elle est attentive à ce moment d’échange. Elle vient d’abord saluer Amélie, les deux femmes bavardent et, comme convenu, elles prennent ensemble la pause devant l’objectif. Accompagnée de Laurent Magnier, qui, comme il se doit, la présente, la cheffe poursuit son parcours, aux autres tables.
Bon règne à sa gracieuse majesté !
Cet article fait partie d’une série consacrée à Nice
Magnifique! tout cela ouvre l’appétit 😉
Merci pour ces bonnes adresses
Merci Cyneas pour cette appréciation.
Déjà impatient de retrouver Amélie dans de nouvelles aventures 🙂
Elles se préparent, en effet.
Des escarpins fabuleux et une robe noire qui ne tient que par un frisson :
Belle Amélie, vous rivalisez avec Lady Di et sa « revenge dress » !
Si je vous en crois, un frisson de plus pourrait la faire tomber, cher Tristan.
Amélie.